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LA COMPAGNIE 

 

"Le Plateau, cet espace d’où notre parole s’adresse au monde”, dit Jean François Matignon.


Le plateau, le monde. Le monde, le plateau.


Le plateau de théâtre, Jean François Matignon y pense depuis toujours. Au lycée de La Rochelle, déjà le théâtre était là. Puis, ce fut le plateau observé de près, réfléchi auprès de plusieurs aînés, Didier Georges Gabily notamment. 

Ensuite, après un détour par la philosophie et le cinéma, dès 1988, c'est le théâtre pratiqué et mis en scène avec la compagnie Fraction qu’il crée avec la comédienne Maryline Sins.
Mais qu'est le plateau hors du monde, surtout si l’on accepte pas ce monde tel qu’il est ?

Aussi tout en gardant sa liberté et l’art en tête, Jean-François Matignon va-t-il le peser ce monde, le penser dans des lieux et des moments d’extrême tremblement, et penser le théâtre à cette aune : Kurdistan en guerre en 1996, en 1994 dans Sarajevo assiégée, ou encore durant l’été 1995, avec le frémissement de la Déclaration d’Avignon après Srebrenica...

Il s’agit donc là d’être dans un aller-retour permanent entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. L’infiniment grand, ce peut être une ville sous les bombes en plein milieu de l’Europe dans Christos et les chiens (1994), ou encore le Leeds de l’écrivain anglais David Peace, Leeds ville bouleversée par le chômage, la corruption générale et l’éventreur du Yorkshire dans 4 LUV (création 2007).

L’infiniment petit, c'est l’ intime d’un(e) enfant abusée dans La Tentation de l’ogre (2002) et Le Tour d’écrou (création 2006), c'est le secret et l’intimité des voix chez Raymond Guérin dans La Joie du coeur et La Peau dure (1997, 2004), ou encore le quotidien de tant d’êtres exploités, méprisés, cassés dans Woyzeck (2001), dans Les Bonnes (1992), et dans 4 LUV encore.

Il s’agit de donner la parole à ces Maudits silencieux, terrifiés, pitoyables, et de nous l’adresser à nous spectateurs, à qui Matignon souhaite tout sauf d’être mollement et égoïstement assis dans notre confort devant le spectacle désastreux du monde.
Alors forcément sur le plateau, souvent le noir domine.Ou plutôt l’arc en ciel des noirs, qui respire, se déploie et se replie comme un énorme soufflet : chambre confinée de Monsieur Hermès, l’Apprenti dans La Joie du coeur, ou celle des trois soeurs de La Peau dure de Raymond Guérin ; balançoire de La Tentation de l’ogre ; espace exigu du massacre de Woyzeck. Et au contraire, immensité du no man's land angoissant où se terrent les terroristes de Lalla (ou la terreur) (1998), où se joue La Répétition permanente de Vidosav Stevanovic (2002), et où se cachent pour en surgir, les fantômes et les cadavres de La Tragédie de Macbeth (2005).

C'est un théâtre terriblement impressionné et impressionnant. Il est de l’ordre de la révélation, de l’incrustation, même.

Au départ de ce travail, il y a souvent une écriture très forte - à plusieurs reprises des adaptations de textes non théâtraux - une recherche plastique poussée toujours plus loin - lumières et ombres en jeu, objets lourds d’émotions, projections d’images, peinture.

Et des comédiens que l’on retrouve d’une création à l’autre. Car ils sont le nerf de la guerre pour ce metteur en scène qui a toujours privilégié le travail de création à l’installation dans un lieu dévolu à la programmation. Force et fragilité revendiquées dans le nom même de Fraction: à la fois unité d’intervention, petite part active d’une opération et brisure.

Implantée à Avignon depuis 1994, la compagnie Fraction y déploie son activité et rayonne à partir d’elle.

 

Il y a des textes qu'on aurait aimé rêver et écrire, celui-ci par exemple...

 

Propos recueillis par Danièle Carraz 

REPONSE A UNE QUESTION QUI N’EST PAS POSÉE

Un théâtre est un lieu politique. Il défend ses idées et s’engage dans le combat contre les injustices qui éclatent au grand jour. Le théâtre s’ouvre au scandale car il ne sait pas tout sur tout, il veut savoir davantage. Il est un lieu de surprises.

Celui qui le visite ne sait pas ce qui l’attend et il est surpris car il ne s’attendait pas à voir ce qu’il pressentait sans jamais pouvoir trouver les mots.

Un théâtre vit avec le passé, mais essaye d’effacer ses traces.

Un théâtre n’est pas une mouche aux ailes arrachées, sortie d’un encrier sur un drap blanc. Comme l’ange de l’espoir, il avance la tête en arrière, avec les yeux écarquillés, dans un fort battement d’ailes.

Un théâtre n’a pas une ou plusieurs formes, il est informe, mais il a un visage. C’est un lieu de recherches, un lieu pour les chercheurs. Il a besoin d’étonnement plus que d’acclamation. Il se lie à un lieu, il vit avec ce lieu, mais il a des portes et des fenêtres pour aller dans le monde et, par elles, le monde peut entrer. Ses fenêtres et ses portes doivent toujours rester grandes ouvertes. La pauvreté aussi y a son entrée, elle peut s’asseoir à table.

Un théâtre n’a pas besoin de plus d’argent que ce qu’on lui donne, mais il doit le faire fructifier (un théâtre ne souffre pas de la pauvreté, mais bien souvent de la misère).

Un théâtre doit aimer son public et a besoin de l’amour de son public.

Le public d’un théâtre ce sont tous ceux qui ont besoin d’un théâtre.

Un théâtre vit dans l’amitié avec sa famille : l’amour, le rire, le boire, le sport, la paresse, l’angoisse, le désordre et la bagatelle, la danse, la …, le …, la …

Le théâtre est l’art le plus simple et le plus éphémère : l’art n’a rien à voir avec la connaissance, il vient de la volonté.


Propos recueillis par Matthias Langhoff 

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